Mais comment fait-il?
- Alizé BFS
- 29 déc. 2022
- 5 min de lecture

Le soir tombe, François ferme les tentures. Je m’occupe du repas. La petite babille dans un coin du salon.
Notre maison s’organise autour de la cuisine. Comme si, lors de la construction, les anciens propriétaires s’étaient rappelés au fur et à mesure que d’autres pièces de vie pouvaient se révéler utiles. Cette configuration chaleureuse invite aux soirées tranquilles « petits gâteaux chauds tout juste sortis du four », aux apéros dinatoires et aux concours du plus haut saut de crêpes. C’est sans doute ce qui nous a fait craquer lors de notre première visite.
Nous avions toujours rêvé de trouver un « chez-nous » dans lequel nous nous serions sentis à l’aise dans l’instant. Un petit coin tranquille où nous pourrions jeter un œil aux devoirs de François tout en touillant dans la rata’ et jouer à « coucou-bouh » avec Lulu par-dessus une casserole.
Après de multiples visites, nous avons trouvé ce que nous cherchions et depuis, cette maison nous donne la sensation d’y avoir toujours habité. De l’ilot central de la cuisine, je peux sans problème regarder la télé, alpaguer Lulu qui met le Pokémon de son frère en bouche et houspiller François qui rêve au lieu de terminer sa lecture. Je peux, en prime, ouvrir la porte-fenêtre à notre déesse de chat sans devoir interrompre toutes mes autres activités. Le pied !
Le sapin de Noël trône dans un coin près du poêle à bois, dans lequel brûlent deux énormes buches. Il fait chaud et l’air sent bon l’eucalyptus. À côté, se trouve la grande table à manger.
Comme d’habitude, elle est encombrée du bazar d’une après-midi enfantine. Un puzzle à moitié fini, le reste du 16h et ses quelques miettes. François, couché sur sa feuille de lecture (qui marmonne que la vie est trop injuste et que s’il avait su, vraiment, il aurait choisi une autre famille, parce que franchement, lui faire lire tant de mots à la suite c’est carrément pas humain). Et le peu d’espace restant enseveli sous des trucs et des tocs, des pouets et des bling, qui font bipbip, glouglou, gratgrat et je ne sais quoi encore.
Le sapin est illuminé de la pointe jusqu’au tronc. Nous l’avons décoré de vert et de rouge. Des boules de toutes les tailles, mattes et à paillettes, lisses et à reliefs. Des guirlandes lumineuses, à plumions, à chainons et à rubans. Ça déborde, c’est chargé, c’est sans doute trop, mais nous l’avons fait ensemble et ça, c’est important.
Notre intérieur ne figurera jamais dans un magazine tendance et ne fera sans doute jamais le tour du monde sur Insta, mais c’est chez nous. On s’y sent bien, et c’est déjà bien assez.
Comme chaque année, ce soir est particulier. Comme chaque année, nous tentons de le démasquer! Jusqu’à présent, nous n’y sommes pas arrivés. Mais nous sommes patients, ce soir sera notre soir. Nous avons élaboré notre plan, il ne pourra pas se dérober.
Délaissant sa lecture, François s’engage de bonne grâce à dresser la table. Nous soupons dans le salon, recroquevillés comme nous le pouvons autour de la petite table. François a choisi des pâtes bolo, Lulu a le reste de sa purée-broco-poulet du midi et moi, un steak au beurre salé et une salade croquante. À soir exceptionnel, menu exceptionnel. Nous mangeons tous un plat différent. Uniquement ce que nous avons souhaité. Et pour trinquer ? Du jus de pomme pour l’un, un biberon bien chaud pour l’autre et pour moi, une coupe de bulles bien sûr. Ce soir, c’est permis.
Pendant le repas, nos regards sont rivés sur la télé. Ça aussi, ça n’arrive pas souvent. On regarde un Disney, je chante avec François. Il s’étonne que je connaisse les paroles par cœur. Impossible pour lui d’imaginer que j’ai pu regarder les mêmes dessins animés quand j’étais enfant. Sa maman, elle a toujours été adulte. Et puis, ses dessins animés préférés ne peuvent pas être SI vieux.
Une fois que le repas est englouti et que le film est fini, c’est le grand chambardement. On transforme le salon en campement. Draps sur le canapé, la couette et les duvets sont installés. On place nos oreillers. Lulu est coincée entre François et moi. Ça y est, notre véritable mission peut enfin commencer.
Maman ?
Oui ?
Tu dors ?
Non, et toi ?
Non plus. Tu crois qu’il va venir ?
Oui normalement, il va venir. J’espère du moins.
D’accord.
Petit silence.
(François remue, il s'assied, se recouche. Je compte mentalement: 3, 2, 1...)
Maman ? (bingo)
Oui ?
Tu crois qu’il va rester longtemps ?
Je ne sais pas mon chéri, toi qu’en penses-tu ?
Je pense qu’il va passer en coup de vent, c’est pour ça qu’on le voit jamais !
C’est possible.
Petit silence.
Lulu, se redresse, m'escalade, m'écrase la poitrine au passage et me crache sa tétine au visage.
Da-da-da-daaa-petit cri aigu (et petites gouttes de bave, juste pour moi).
Chhhhhuuut Lulu. Chuuuut. Fais dodo ma puce (je la recase à sa place).
Chhhhhhh-aaaaaaaaaaaaa.
Le Chat ? Oui le chat est la aussi. Regarde, elle est à côté de François.
(Grand sourire-craquant-mon-coeur-fond) Fffffff-wwwaaaaa.
Oui c’est ça, François (elle se recouche).
Petit silence.
François gigote.
(3,2...)
Maman ? (je souris)
Oui ?
Si on reste éveillé, penses tu qu’il passera ?
Je ne crois pas.
Alors on ferme nos yeux et quand on entendra du bruit, on fait tout doucement et on lui fera coucou à ce moment là.
Ne risque-t-on pas de lui faire la peur de sa vie ?
Oui tu as raison. Alors on ne dit rien, mais moi, je regarderai à travers mes yeux pour être sur que c’est lui.
A travers tes cils !
Mes cils ? Quoi ?
Tu regarderas à travers tes cils… Pas tes yeux.
Oui maman, c’est ce que j’ai dit.
Petit silence.
Je n'y crois pas, il doit encore y réfléchir.
Maman ? (Ah, je le savais)
Dors François, sinon il ne viendra pas.
Je lutte, je rêve de m’endormir. Le ronron du chat, le souffle régulier de Lulu et le léger ronflement de François me bercent et m’attirent vers le néant. Sauf que je dois tenir le coup. J’attends... Encore quelques instants... La mission en dépend.
Le lendemain matin, François crie et nous réveille en sursaut.
MAMAN!!! MAMAN!!!
Hum, ppff, humm.. Quoi ?
Il est passé ?
Pardon ?
Il est passé je te dis.. Tu as entendu quelque chose ?
Non rien. J’ai dormi d’une traite jusqu’à maintenant. Et toi ?
(déçu) moi aussi. Mais comment fait il ?
Lulu s’assied dans le fauteuil et pointe son petit doigt boudinné vers le sapin : "Adoooooo".
Effectivement, sous le sapin, des cadeaux colorés sont disposés. Nous étions censé le débusquer, mais cette année encore, il nous a échappé. Le Père Noël est passé, sans même nous réveiller.
IL est vrai que, pour François dans son rêve à lui, sa maman a toujours été adulte jamais bébé ni enfant, c'est si beau...
J’adore et j’imagine parfaitement François posant toutes ses questions. Je le vois d’ici ♥️. J’ai bien ris quand Fr… trouve la vie injuste lors de sa lecture 😹. Et quand Lulu te crache sa tutu. 😅