Bonne année!
- Alizé BFS
- 3 janv. 2023
- 5 min de lecture

Béa sonne à la porte. Bien sûr, je ne suis pas prête. Entre Lulu qui refusait de me lâcher quand j’ai été la déposer chez Mamy. François qui avait oublié son doudou et pour qui l’aller-retour de chez son oncle à la maison était vital. Et mon incapacité à décider ce que je vais porter. C’est évident, elle va devoir patienter.
« Entre Béa, c’est ouvert ! », lui crié-je de la salle de bain.
Je suspends mon geste et ne rallume pas le sèche-cheveux pour lui lancer un « Salut-salut-déso-j’aibientotfini », sauf que je n’entends rien. Pas de grincement de porte, pas de verrou qui se referme. Poisse, elle ne m’a pas entendu. *dingdong* Elle sonne à nouveau.
Je jure en anglais (toujours plus satisfaisant), sors en trombe de la salle de bain et dévale l’escalier pour lui ouvrir. Mes cheveux non-encore domptés me gênent et me tombent devant les yeux. « Entre Béa, je suis à la bourre... Les enfants tout ça... Entre, je termine » parviens-je à bafouiller en tentant de me libérer la vue (foutue crinière).
Et là, c’est le choc.
En face de moi, ce n’est pas Béa, mais le voisin. *Aaaargh* Je m’étrangle. Est-il utile de préciser que je suis en sous-vêtements et que la robe que j’ai finalement choisie nécessite de porter une magnifique paire de cache-tétons de la plus grande élégance ?
Avec Béa, aucun problème. Surtout depuis notre escapade aux thermes (section tout-nu) de l’an passé. Pas que je sois une adepte du déshabillage collectif, mais nous nous étions lancée ce challenge en arguant du fait que l’acceptation de soi était d’actualité et que nous devions tenter de nouvelles expériences. Nous avions passé une journée particulièrement étrange mais nos fous-rires avaient vraiment valus le coup.
Comment vous dire. Me comparer à une tomate bien mure, un poivron rouge ou la version de moi-même en plein été sans crème solaire sous un soleil caniculaire sont d’assez bonnes images. Bouffée de chaleur, corps qui tente de se cacher maladroitement derrière la porte et bredouillage incompréhensible.
« Be-Benoit… Bonjour… Hum. J’attends une amie (bonjour le quiproquo, qu’est-ce qu’il va bien pouvoir imaginer), je peux… Tu as besoin de… Hum. C’est pour quoi ? (petit sourire crispé) ».
Benoit semble faire un effort énorme afin de faire comme si de rien n’était.
« Bonjour Sandrine, je me demandais si ce soir tu pouvais, éventuellement, passer voir le chien avant d’aller te coucher ? Tu n’es pas du genre à prévoir quelque chose le 31. Du coup, je me disais que tu pourrais passer voir s’il n’a pas peur des feux d’artifice ».
Une envie de meurtre m’envahit. Non mais franchement, pour qui se prend-il. « Pas du genre ? ». Me voilà reléguée au rang de vieille voisine qui n’a de toute façon rien de prévu pour le nouvel an. Qui a une vie sociale proche du néant et qui n’est bonne qu’à babysitter les chiens peureux du quartier. Je suis outrée.
Sur mon visage doit défiler toute une série d’émotions car Benoit toussote, s’excuse et dit prestement : « Désolé, il semblerait que tu ne sois finalement pas disponible. Ce n’est rien. Nous ferons autrement. Désolé pour le dérangement et… heu… Bonne soirée. (C’est moi, ou il m’a regardé bizarrement sur cette dernière phrase ?).
J’ai la mâchoire tellement serrée que je m’étonne de ne pas entendre mes dents grincer. Je marmonne un : « ouais merci, bonne soirée à toi aussi Benoit » et referme la porte lentement.
Je remonte l’escalier en faisant un peu de cohérence cardiaque histoire de faire tomber la pression et tenter de me calmer.
20 minutes plus tard, je suis prête et bizarrement, Béa n’est toujours pas là.
SMS : « Tout va bien ? Suis prête, viens quand tu veux. Biz. S. »
Je m’installe dans le salon, du bout des fesses sur le canapé. Pas trop affalée, sinon je serai toute chiffonnée. Et puis, je me suis fait un chignon compliqué, si je pose ma tête sur le coussin (moelleux et méga tentant parce que je me sens quand même un peu fatiguée), il sera ruiné.
Je baille. Mon ventre gargouille. Bon sang, j’ai tellement faim. Je hais ce moment où je ne peux rien entreprendre et où je ne peux qu’attendre et imaginer que mon chauffeur m'a planté. On dit chauffeur ou chauffeuse ? Oh, l’ourlet de ma tenture est défait. Je l’ajoute à ma To Do list mentale des choses à faire quand j’aurai le temps (autant dire jamais). *Miaou* AH ! Je dois te nourrir toi, mais je ne te fais pas sortir, je n’ai pas envie de que tu fasses ta biche effrayée à minuit et que tu fasses choper. Bon, ouvrir le sac de pâtée sans s’asperger de la tête aux pieds. Petite caresse sur le dos de la déesse, c’est bon. Pas trop. Ma robe est noire, pas envie d’avoir plein de poils dessus.
SMS : « Suis là. B. »
Youpi, je sursaute, fais peur au chat qui se faufile entre mes jambes et manque de me faire tomber. J’attrape mon sac à la volée et file de chez moi.
Le trajet en voiture se passe super bien. Béa me raconte les derniers potins et ses rendez vous avec Fabrice, un gars rencontré sur internet.
La soirée, par contre, est un vrai cauchemar et me rappelle pourquoi, habituellement, je reste cloitrée chez moi à mater un film de Noël avec une bière et un bol de chips en guise de repas. Nous sommes à peu près 150 dans la salle de fête. Les serveurs sont débordés et dans un horrible bruit de cliquetis de cantine, nous recevons nos assiettes de façon éparse et quand enfin la tablée est servie, la moitié mange froid.
La musique va trop fort et n’est pas particulièrement d’actualité. Certes, nous ne sommes plus de prime jeunesse, mais sommes nous condamnés à nous trémousser sur des airs de Claude François et Gilbert Montagné toute notre vie ? Quand le DJ lance son Free From Desir, hyper fier, je sens qu’il est temps pour moi de partir. Sauf que Béa est en pleine opération séduction (au diable Fabrice dirait-on) et ne semble pas du tout prête à lever le camp. Je me résigne donc, et j’attends. 3, 4, 6 chansons défilent et la voilà qui semble de moins en moins disposée à partir. Je souffle et peste et me demande pourquoi déjà j’ai mis les pieds dans cet endroit. Je rêve de mon plaid et mes pantoufles doublées.
Après plus d’une heure d’attente, j’appelle un taxi et plante Béa pour rentrer chez moi. Je suis passablement énervée et quand le chauffeur tente d’engager la conversation, je suis désagréable et tout ce qu’il y a de plus froide. Je m’en veux dans la seconde, ce qui m’agace d’autant plus. Je me tais et me morfonds jusqu’à apercevoir ma porte d’entrée.
Je lui présente mes plus plates excuses lorsque je règle ma course. Il me répond à peine tout en levant les yeux au ciel. C’est clair, je l’ai mérité.
Arrivée chez moi, je me déchausse tout en marchant et expédie mes talons hauts à travers la pièce. *Miaou ? *La déesse est dans le canapé et semble étonnée de me voir là. Je m’affale à ses côtés. Mes bas collants sont filés, ma robe est tachée et les pétales de silicones que je me suis collés dans le décolleté commencent sérieusement à me gratter. Il est 00h01. Allez, bonne année, moi je vais me coucher.
Superbe
Superbe